https://www.globalresearch.ca/france-indo-pacific-ambitions-falter/5894241
Uriel Araujo 9 juillet 2025
Le président français Emmanuel Macron a clairement souligné l'importance stratégique de l'Indo-Pacifique pour la France et l'Europe, positionnant Paris comme un acteur clé dans une région au cœur de la géopolitique mondiale. Pourtant, alors que la France cherche à étendre son influence sur ce vaste théâtre d'opérations contesté, la crise non résolue en Nouvelle-Calédonie (NC), territoire français d'outre-mer dans le Pacifique, jette une ombre sur ses ambitions.
La poursuite de la souveraineté en Nouvelle-Calédonie, conjuguée à la tenue prochaine d'un sommet en France pour débattre de l'avenir du territoire, révèle une tension : les ambitions de Paris dans l'Indo-Pacifique sont de plus en plus en contradiction avec son héritage néocolonial et les objectifs plus larges de l'Occident, notamment de l'OTAN. Cette dissonance révèle des fissures au sein de l'alliance occidentale, la France poursuivant une voie singulière qui ne s'aligne pas toujours sur l'agenda du bloc.
Quoi qu'il en soit, la stratégie indopacifique de la France n'est pas une initiative nouvelle, mais une extension de sa présence historique dans la région, ancrée dans des possessions coloniales comme la Caroline du Nord. La vision de Macron – renforcée par des développements tels que l' Initiative 2050 avec l'Indonésie et la diplomatie énergétique avec les Émirats arabes unis – vise à projeter la France comme une sorte de puissance d'équilibre dans une région dominée par la rivalité américano-chinoise. Les déploiements navals prévus par la France aux côtés du Royaume-Uni et de l'Italie dans la région indopacifique soulignent encore cette ambition.
Ces mouvements ne sont évidemment pas sans complications. La crise en Nouvelle-Calédonie, où les revendications d'indépendance des Kanak autochtones se heurtent au contrôle français, révèle que Paris est une puissance néocoloniale de plus en plus affirmée, comme je l'ai déjà écrit . Son approche coloniale est encore bien visible (bien qu'en déclin) en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale . De retour en Caroline du Nord, les troubles, peu relayés par les médias occidentaux, mettent en lumière une réalité brutale : la stratégie indo-pacifique de la France est liée à un héritage colonial qui sape sa crédibilité en tant que partenaire régional.
On se souvient que la France a toujours tracé sa propre voie, souvent distincte des objectifs plus larges de l'OTAN. La décision de Charles de Gaulle en 1966 de retirer la France du commandement militaire intégré de l'OTAN – décision annulée seulement en 2009 – demeure une pierre angulaire de l'« autonomie stratégique » française. Macron, bien qu'il ne soit pas de Gaulle, a parfois fait écho à ce sentiment en menant des politiques qui s'écartent parfois des priorités de l'OTAN, même si c'est à sa manière, assez ambiguë. Par exemple, la réticence de la France à adopter pleinement une « mentalité OTAN » dans la région indopacifique reflète la position de l'Inde, telle qu'exprimée par le ministre des Affaires étrangères, S. Jaishankar .
Cette divergence est cruciale, car la volonté de l'OTAN d'établir une présence permanente dans la région indopacifique risque de transformer des structures régionales comme le Quad en une « petite OTAN » – un scénario que la France et l'Inde envisagent avec scepticisme. Ainsi, la stratégie indopacifique de la France semble parfois ne pas se limiter à une simple projection de puissance, mais plutôt à la création d'une « troisième voie » permettant d'éviter toute implication dans les efforts d'endiguement menés par les États-Unis contre la Chine.
La crise en Nouvelle-Calédonie complique toutefois cette posture. La quête de souveraineté du territoire, alimentée par des décennies de marginalisation de la population kanak, a révélé une fois de plus le caractère ouvertement néocolonial de la gouvernance française. Le sommet actuel sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, organisé par la France, est une tentative de désamorcer les tensions après les émeutes meurtrières de l'année dernière, mais il risque d'être perçu comme une performance plutôt que comme une véritable avancée vers la réconciliation. Paco Milhiet, chercheur invité à la S. Rajaratnam School of International Studies, soutient que la France doit « recadrer » sa stratégie indo-pacifique en répondant aux doléances de la Nouvelle-Calédonie afin de sortir de cette impasse géopolitique. À défaut, la légitimité de la France aux yeux des nations du Pacifique, dont beaucoup partagent des sensibilités postcoloniales, pourrait s'éroder.
De plus, les ambitions de Paris se déploient dans un contexte de fractures internes au sein de l'OTAN (et de l'Occident). Les scandales de corruption et les désaccords stratégiques ont affaibli la cohésion de l'alliance, amplifiant ainsi potentiellement la propension de la France à poursuivre son propre agenda. La rhétorique expansionniste de l'OTAN dans la région indopacifique, souvent présentée comme une riposte à la Chine, ne cadre pas pleinement avec les intérêts de la France, qui privilégie les partenariats économiques et la sécurité énergétique à la confrontation militaire. Par exemple, l'engagement de la France avec le Vietnam et les Émirats arabes unis reflète une priorité accordée à la diplomatie des ressources et aux relations bilatérales plutôt qu'à des alignements de blocs. Voilà pour le front uni de l'Occident : les actions de la France suggèrent une préférence pour la flexibilité stratégique plutôt que pour des engagements rigides au sein de l'alliance.
Cette divergence n'est pas sans risques. L'équilibre que la France doit maintenir – affirmer son influence dans la région indo-pacifique tout en gérant les troubles intérieurs en Nouvelle-Calédonie et en s'adaptant à l'influence excessive de l'OTAN – pourrait épuiser ses ressources. La crise de la Nouvelle-Calédonie, si elle est mal gérée, pourrait aliéner les nations insulaires du Pacifique, dont la France a besoin de la bonne volonté pour contrebalancer la présence croissante de la Chine. De plus, la « troisième voie » française (la « doctrine Macron ») risque d'être perçue comme opportuniste, manquant de la cohérence nécessaire pour affronter Washington ou Pékin. Jusqu'à présent, la rhétorique de Macron a dépassé les résultats concrets, des initiatives comme l'Initiative 2050 n'en étant qu'à leurs balbutiements.
En résumé, les ambitions indopacifiques de la France reflètent une volonté d'affirmer son autonomie stratégique dans une région cruciale pour les dynamiques de puissance mondiales. Pourtant, la crise de la Nouvelle-Calédonie et les divisions internes de l'OTAN et de l'Occident révèlent les tensions qui sous-tendent cette ambition. En s'accrochant à son contrôle néocolonial en Nouvelle-Calédonie, la France sape sa crédibilité en tant que partenaire des États postcoloniaux. Parallèlement, sa divergence avec l'agenda de l'OTAN, bien que quelque peu ancrée dans une tradition gaulliste, risque de l'isoler au sein de l'alliance occidentale.
La voie à suivre par Paris nécessite donc un rééquilibrage délicat, du point de vue français : résoudre la crise de la Nouvelle-Calédonie par de véritables concessions aux exigences de souveraineté et formuler une vision plus claire de sa « troisième voie » dans l’Indo-Pacifique. Ce n’est qu’à cette condition que la France pourra espérer sortir de l’impasse géopolitique à laquelle elle est confrontée, de peur que ses ambitions ne s’enlisent dans les contradictions qu’elle a elle-même créées.
Cet article a été initialement publié sur InfoBrics .
Uriel Araujo, titulaire d'un doctorat, est chercheur en anthropologie spécialisé dans les conflits internationaux et ethniques. Il contribue régulièrement à Global Research.
L'image sélectionnée provient d'InfoBrics
La source originale de cet article est Global Research
Le président français Emmanuel Macron a clairement souligné l'importance stratégique de l'Indo-Pacifique pour la France et l'Europe, positionnant Paris comme un acteur clé dans une région au cœur de la géopolitique mondiale. Pourtant, alors que la France cherche à étendre son influence sur ce vaste théâtre d'opérations contesté, la crise non résolue en Nouvelle-Calédonie (NC), territoire français d'outre-mer dans le Pacifique, jette une ombre sur ses ambitions.
La poursuite de la souveraineté en Nouvelle-Calédonie, conjuguée à la tenue prochaine d'un sommet en France pour débattre de l'avenir du territoire, révèle une tension : les ambitions de Paris dans l'Indo-Pacifique sont de plus en plus en contradiction avec son héritage néocolonial et les objectifs plus larges de l'Occident, notamment de l'OTAN. Cette dissonance révèle des fissures au sein de l'alliance occidentale, la France poursuivant une voie singulière qui ne s'aligne pas toujours sur l'agenda du bloc.
Quoi qu'il en soit, la stratégie indopacifique de la France n'est pas une initiative nouvelle, mais une extension de sa présence historique dans la région, ancrée dans des possessions coloniales comme la Caroline du Nord. La vision de Macron – renforcée par des développements tels que l' Initiative 2050 avec l'Indonésie et la diplomatie énergétique avec les Émirats arabes unis – vise à projeter la France comme une sorte de puissance d'équilibre dans une région dominée par la rivalité américano-chinoise. Les déploiements navals prévus par la France aux côtés du Royaume-Uni et de l'Italie dans la région indopacifique soulignent encore cette ambition.
Ces mouvements ne sont évidemment pas sans complications. La crise en Nouvelle-Calédonie, où les revendications d'indépendance des Kanak autochtones se heurtent au contrôle français, révèle que Paris est une puissance néocoloniale de plus en plus affirmée, comme je l'ai déjà écrit . Son approche coloniale est encore bien visible (bien qu'en déclin) en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale . De retour en Caroline du Nord, les troubles, peu relayés par les médias occidentaux, mettent en lumière une réalité brutale : la stratégie indo-pacifique de la France est liée à un héritage colonial qui sape sa crédibilité en tant que partenaire régional.
On se souvient que la France a toujours tracé sa propre voie, souvent distincte des objectifs plus larges de l'OTAN. La décision de Charles de Gaulle en 1966 de retirer la France du commandement militaire intégré de l'OTAN – décision annulée seulement en 2009 – demeure une pierre angulaire de l'« autonomie stratégique » française. Macron, bien qu'il ne soit pas de Gaulle, a parfois fait écho à ce sentiment en menant des politiques qui s'écartent parfois des priorités de l'OTAN, même si c'est à sa manière, assez ambiguë. Par exemple, la réticence de la France à adopter pleinement une « mentalité OTAN » dans la région indopacifique reflète la position de l'Inde, telle qu'exprimée par le ministre des Affaires étrangères, S. Jaishankar .
Cette divergence est cruciale, car la volonté de l'OTAN d'établir une présence permanente dans la région indopacifique risque de transformer des structures régionales comme le Quad en une « petite OTAN » – un scénario que la France et l'Inde envisagent avec scepticisme. Ainsi, la stratégie indopacifique de la France semble parfois ne pas se limiter à une simple projection de puissance, mais plutôt à la création d'une « troisième voie » permettant d'éviter toute implication dans les efforts d'endiguement menés par les États-Unis contre la Chine.
La crise en Nouvelle-Calédonie complique toutefois cette posture. La quête de souveraineté du territoire, alimentée par des décennies de marginalisation de la population kanak, a révélé une fois de plus le caractère ouvertement néocolonial de la gouvernance française. Le sommet actuel sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, organisé par la France, est une tentative de désamorcer les tensions après les émeutes meurtrières de l'année dernière, mais il risque d'être perçu comme une performance plutôt que comme une véritable avancée vers la réconciliation. Paco Milhiet, chercheur invité à la S. Rajaratnam School of International Studies, soutient que la France doit « recadrer » sa stratégie indo-pacifique en répondant aux doléances de la Nouvelle-Calédonie afin de sortir de cette impasse géopolitique. À défaut, la légitimité de la France aux yeux des nations du Pacifique, dont beaucoup partagent des sensibilités postcoloniales, pourrait s'éroder.
De plus, les ambitions de Paris se déploient dans un contexte de fractures internes au sein de l'OTAN (et de l'Occident). Les scandales de corruption et les désaccords stratégiques ont affaibli la cohésion de l'alliance, amplifiant ainsi potentiellement la propension de la France à poursuivre son propre agenda. La rhétorique expansionniste de l'OTAN dans la région indopacifique, souvent présentée comme une riposte à la Chine, ne cadre pas pleinement avec les intérêts de la France, qui privilégie les partenariats économiques et la sécurité énergétique à la confrontation militaire. Par exemple, l'engagement de la France avec le Vietnam et les Émirats arabes unis reflète une priorité accordée à la diplomatie des ressources et aux relations bilatérales plutôt qu'à des alignements de blocs. Voilà pour le front uni de l'Occident : les actions de la France suggèrent une préférence pour la flexibilité stratégique plutôt que pour des engagements rigides au sein de l'alliance.
Cette divergence n'est pas sans risques. L'équilibre que la France doit maintenir – affirmer son influence dans la région indo-pacifique tout en gérant les troubles intérieurs en Nouvelle-Calédonie et en s'adaptant à l'influence excessive de l'OTAN – pourrait épuiser ses ressources. La crise de la Nouvelle-Calédonie, si elle est mal gérée, pourrait aliéner les nations insulaires du Pacifique, dont la France a besoin de la bonne volonté pour contrebalancer la présence croissante de la Chine. De plus, la « troisième voie » française (la « doctrine Macron ») risque d'être perçue comme opportuniste, manquant de la cohérence nécessaire pour affronter Washington ou Pékin. Jusqu'à présent, la rhétorique de Macron a dépassé les résultats concrets, des initiatives comme l'Initiative 2050 n'en étant qu'à leurs balbutiements.
En résumé, les ambitions indopacifiques de la France reflètent une volonté d'affirmer son autonomie stratégique dans une région cruciale pour les dynamiques de puissance mondiales. Pourtant, la crise de la Nouvelle-Calédonie et les divisions internes de l'OTAN et de l'Occident révèlent les tensions qui sous-tendent cette ambition. En s'accrochant à son contrôle néocolonial en Nouvelle-Calédonie, la France sape sa crédibilité en tant que partenaire des États postcoloniaux. Parallèlement, sa divergence avec l'agenda de l'OTAN, bien que quelque peu ancrée dans une tradition gaulliste, risque de l'isoler au sein de l'alliance occidentale.
La voie à suivre par Paris nécessite donc un rééquilibrage délicat, du point de vue français : résoudre la crise de la Nouvelle-Calédonie par de véritables concessions aux exigences de souveraineté et formuler une vision plus claire de sa « troisième voie » dans l’Indo-Pacifique. Ce n’est qu’à cette condition que la France pourra espérer sortir de l’impasse géopolitique à laquelle elle est confrontée, de peur que ses ambitions ne s’enlisent dans les contradictions qu’elle a elle-même créées.
Cet article a été initialement publié sur InfoBrics .
Uriel Araujo, titulaire d'un doctorat, est chercheur en anthropologie spécialisé dans les conflits internationaux et ethniques. Il contribue régulièrement à Global Research.
L'image sélectionnée provient d'InfoBrics
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